jeudi, août 03, 2006

Pourquoi les États-Unis ne bougeront pas

Éditorial par Marie-Josée Girard, publié à Montréal /AAPI

Résumé de l'article

Israël semble être au coeur d'une manipulation bien orchestrée mais souffrir également du syndrome de
la grenouille qui veut être aussi grosse que le boeuf...
Sachant que la liberté de décision est inhérente à la souveraîneté et à l'autonomie constitutionnelles, on pourrait se demander si Israël agit de sa propre initiative ou est victime de pressions extérieures. Les USA, qui peuvent parfois être de faux-amis, ont-ils poussé l'un devant l'autre, sur l'échiquier international, les derniers pions permettant de concrétiser l'étape finale d'une "stratégie globale de chaos" habilement ficelée, et visant à déstabiliser intentionnellement la région? C'est à voir...

Les États-Unis ne bougeront pas pour deux raisons. La première - la bavure irakienne - épuise la Réserve fédérale ; la seconde : parce que cela les arrange et que ça fait partie de leur plan.

Mettons-nous un instant à la place de Bush et de Condoleezza Rice qui, tous deux chrétiens "born again" fondamentalistes, analysent la situation internationale à la lumière, sinon sous l'éclairage blafârd et fataliste de la " fin des temps". A ce jour, les forces obscures ne peuvent inévitablement être, à leurs yeux, que non-chrétiennes. Peut-être croient-ils en effet, bien qu'ils aient toujours appuyé Israël, de leur devoir de favoriser, à l'aide de quelque stratégie de diversion mais également de division, l'avènement de l'ère apocalyptique! Mais ce n'est pas drôle.

Si j'étais un fin stratège comme l'a été Churchill, c'est une hypothèse que je n'aurais pas négligée dans l'économie complexe et imprévisible de la gestion "pacifique" du monde, puisqu'il apparaît évident que la seule parade possible et la seule issue praticable à la redoutable question arabe du Proche et Moyen-Orient - nations qui pourraient malencontreusement décider de s'approprier l'adage "l'union fait la force" - réside dans le "diviser pour régner". Mais un tel stratège existe-t-il à la Maison Blanche? Sans aucun doute.

De là à croire que le gouvernement Bush a opté pour cette stratégie, il n'y a qu'un pas. D'ailleurs, même si un cessez-le-feu intervenait sous peu, le mal serait fait : la guerre éclair aura mis en exergue, soit, des adhésions de dernière minute, mais surtout l'absence d'une réelle solidarité des pays arabes dans la région.

On pourrait aussi croire Israël en pleine crise d'identité. De vous à moi, il aurait parfaitement raison. Rappelons-nous qu'en 1945, seulement 600 000 Juifs habitaient en Palestine contre 1 200 000 Arabes. Cette réalité historique, bien que hautement inconfortable quand on y pense, ne peut avoir échappé à ses géniteurs. Malheureusement, lorsque (à l'instar de nombreux pays nés "sur papier" ) nos père et mère sont une lettre et une résolution de l'Assemblée générale des Nations-Unies (la déclaration de Balfour de 1917 et le plan de partage de la Palestine du 29 novembre 1947) on ne peut s'attendre ni à une grande stabilité ni espérer tabler sur le sentiment de sécurité optimal que lui aurait autrement conféré la filiation historique.

Pourtant cette filiation existe - dans la Torah et la Bible notamment - et le sionisme s'appuie incontestablement sur cet héritage pour valider ses prétentions (Dieu ayant donné à la postérité d'Abraham la terre de Canaan). Dans ce cas, la bonne foi commande de procéder au partage avec justice - les Juifs étant fils légitimes par Isaac et le Arabes fils illégitimes par Ismaël - chacun devrait pouvoir recevoir la part qui lui revient, au pro rata disons...

Si le calcul pose ou a posé problème c'est que n' a pas été prise en compte l'une ou l'autre des prétentions respectives.

Car cette bataille testamentaire qui perdure depuis des millénaires finit par fatiguer.

Je suis allée en Israël et sa réalité matérielle et constitutionnelle est indéniable, pourtant, il me reste sur l'estomac le sentiment persistant de la prédominance de l'aspect volitionnel de son existence sur cette véritable "légitimité historique". Comme si on avait, finalement, un peu forcé les choses. Peut-être les Israéliens partagent-ils, au fond, mon sentiment ...

Il est clair que la création d'Israël, suite à l'Holocauste et à la constatation horrifiée de la souffrance mais également d'une forme de passivité, de silence et d'assentiment culpabilisants, s'inscrivait comme la solution permettant de mettre un terme à la diaspora juive qui perdurait depuis si longtemps. Ce qui m'indispose, c'est le caractère d'inéluctabilité, le "quoi qu'il advienne" de l'action internationale qui a voulu asseoir un pays sur des bases déjà instables, sans toutefois prévoir les conséquences à long terme de cette décision sur la région et sur le monde.

Aujourd'hui, les suites désastreuses de cette imprévoyance se manifestent de nouveau. Ce qui a changé c'est qu'une coalition existe qui incite un petit pays (la " grenouille " de la fable - pardonnez-moi cette comparaison animalesque qui ne fait référence, vous vous en doutez bien, uniquement à la taille des protagonistes) à périodiquement tenter de se prendre pour un boeuf (arsenal nucléaire et armée puissante aidant, évidemment).

Sinon, comment une si petite nation - si petite que l'on y a ses voisins à vue d'oeil - oserait-elle de nouveau s'en prendre à ses ennemis héréditaires (82% de la population appuie l'offensive et 71% souhaite une intensification des frappes) si on ne lui faisait miroiter un quelconque gain territorial ou une victoire d'honneur sur la scène internationale à l'issue de l'offensive? Car il ne faut pas se leurrer ; ce n'est que poussé à l'action par des alliés belliqueux et déterminés qu'Israël a pu décider de réagir de manière si ouvertement disproportionnée.

Les USA et la Grande-Bretagne, invariablement étourdis par l'éventualité d'un contrôle total et définitif sur la région ne semblent pas le moins du monde gênés par cette odieuse manipulation, si tant est qu'elle existe, mais dont ils donnent des signes de plus en plus révélateurs.

Ils semblent oublier que la susceptibilité arabe a des limites et que pour ceux qui vivent selon les préceptes du Coran, l'au-delà a infiniment plus de prix que la comédie souvent pathétique que nous appelons pompeusement "la vie" et que nous défendons avec véhémence. Surtout quand la guerre que l'on prône inlassablement fait plutôt référence à une culture de mort, belle incohérence!

Mais heureusement les pays arabes ne bougeront pas non plus. Justement parce qu'ils sont divisés (politique stratégique manifestement adoptée par les USA et destinée à les affaiblir - Afghanistan, Irak - alliée à une culture de l'amitié et des intérêts communs avec d'autres - Koweit, Émirats) et que cette division, atteignant son but, finit par les fatiguer eux aussi.

Reste la Syrie ou l'Iran chiite - dont l'énergie et la combativité ne sont pas hypothéqués - qui pourraient l'un et l'autre prendre la mouche...

Il m'est douloureux de penser que quelques-uns décident pour tous et nous entraînent dans une écriture de l'Histoire qui ne sert que leurs propres intérêts. Manifestement, la politique de l'objectivité et du désintéressement n'est pas pour demain...dommage.

Marie J. GIRARD girardmj@journalist.com