samedi, septembre 16, 2006

La Première tentation du Pape

Par Marie-Josée Girard
publié à Montréal /AAPI


Toute vérité est comparable à un champ de mines : se laisse-t-on prendre à ses foudroyants attraits qu'elle transforme notre langue en une épée impitoyable, prête à frapper à tout moment. C'est la même épée de Damoclès qui plane aujourd'hui, incertaine, au-dessus de la tête de pape. Que doit-on dire et que doit-on taire, c'est là toute l'essence de la diplomatie, ou de la....charité chrétienne.

Le Prophète de l'Islam et les Croisés ont-il usé de violence pour défendre et étendre leur foi? Oui, bien sûr (Mahomet, prophète et chef militaire, Wikipédia - Croisades). Le pape avait-il le droit, sur la base de cette réalité, d'émettre des idées susceptibles d'engendrer la haine? Non (propos du pape, La Tribune de Genève). Peut-on accuser un pape d'incitation à la haine? Probablement pas.
Parce que le pape est à la tête de plus d'un milliard de fidèles et qu'il a la réputation, sinon le privilège (dorénavant surfaits, je le crains) d'être infaillible, de nombreux Catholiques s'abstiendront de porter un jugement. Pourtant, la vérité que Benoît XVI représente en la personne du Christ ( qui a dit "Je suis la Vérité et la Vie") s'étale aujourd'hui aux yeux de tous, puisque "rien ne doit demeurer caché". Le pape a manifestement manqué à la charité chrétienne la plus élémentaire en omettant de respecter les prescriptions de la Bible sur l'amour du prochain (1 Corinthiens 13.4-7) qui édicte que :
" La charité (...) ne cherche pas son intérêt ; ne s'irrite pas ; ne tient pas compte du mal ; elle ne se réjouit pas de l'injustice, mais elle met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout ".
Le pape lui-même serait-il au-dessus de la mystique que son église professe et ordonne à ses ouailles? Parce que ce que l'on croit nous porte et nous transporte ; parce que ce que l'on croit nous fait vivre et nous édifie, on pense souvent devoir, dans un souci de cohérence légitime, étaler notre vérité au grand jour. Mais ce n'est souvent, en définitive, qu'une forme poussée et insidieuse d'égocentrisme qui conduit à l'exclusion. J'ose espérer que Benoît XVI n'est pas tombé dans ce cas de figure.

Dans un article récent publié sur le site eucharistiemisericor.free.fr, le directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, le père Federico Lombardi, prenant la défense de Benoît XVI, a indiqué que les médias avaient selon lui instrumentalisé les propos du pape selon lesquels celui-ci, en liant l'essence véritable de la religion à la raison, excluait l'Islam, qui ne serait en définitive (note de l'auteur) qu'une religion de « barbares ».

Cette soudaine et surprenante apologie de la raison ne cadre toutefois pas avec la réalité fondamentale du christianisme qui se veut la religion de l'amour. D'ailleurs, depuis quand Dieu est-il raisonnable? Lui qui habille des fleurs magnifiques qui ne durent qu'un seul jour.

Il est vrai que le Coran contient certains versets pouvant susciter la polémique (entre autres : La Vache, versets 190-193) et qui sont indéniablement utilisés hors de leur contexte historique par la mouvance extrémiste. Ce qui est étonnant, c'est que Benoît XVI n'ait pas eu la diligence de faire la différence à Ratisbonne.
Je n'ai pas vraiment de doute quant à l'intelligence du saint locataire du Vatican ; je m'interroge plutôt sur l'objectif diplomatique visé par le petit État situé au coeur de Rome : établir une assise politique diamétralement opposée à celle de Jean-Paul II - qui avait favorisé le dialogue interreligieux - et relancer ainsi le positionnement stratégique dorénavant fondamentaliste du catholicisme sur la scène mondiale, ou simplement tenter de précipiter le monde ... dans le chaos, c'est selon.

girardmj@journalist.com