jeudi, septembre 06, 2007

Dominique de Villepin, le grand navire dérouté ou le délit de noblesse

Par Marie-Josée Girard /AAPI

Dominique de Villepin, qui a encore une fois relancé le président Sarkozy (et continue de s'agiter sur tous les fronts), ajoute de l'eau trouble au moulin de ses détracteurs. En tendant ainsi la perche à son ennemi, non seulement fait-il aveu de faiblesse, il expose implicitement la piètre crédibilité de ses arguments. Il ne doit donc pas s'étonner de recevoir ce qui ressemble fort à un camouflet de la part du "petit homme" en échange de ses politesses tardives.

Non pas que je sois tentée par la politique ébouriffante du locataire de l'Élysée, qui finira bien par s'essouffler un peu, sinon se dégonfler complètement, mais je n'aime pas le manque d'humilité et j'estime que dans les circonstances, Dominique de Villepin, s'il n'est pas frappé de cécité quant à sa situation actuelle, semble en manquer cruellement et devrait plutôt adopter un profil bas, ce qu'il s'abstient de faire.

Je regarde donc avec consternation l'ancien Premier ministre tenter désespérément de redresser la barre de son imposant navire ; un navire voilé de certitudes, d’une certaine suffisance et, disons-le, d’une vanité ostensible particulièrement agaçante. Curieuse de savoir ce qui se cache encore derrière cette stratégie plutôt malhabile, j'attendais la suite de ce feuilleton politico-médiatique avec une certaine impatience: et bien maintenant je suis fixée, il n’y a rien, sinon un grand vent qu'il voudrait bien voir effacer les derniers mois de la mémoire collective. Rien à faire, ils sont tenaces.

Quoiqu’exposée dans les médias avec un certain aplomb et une contenance résultant d’une longue pratique de la gestion politique de l’image, la stratégie de Dominique de Villepin ne nous étonne pas, elle nous irrite. Le héraut déchu clamant sur les toits son innocence est bien le seul à y croire encore... C'est sans doute pourquoi il s'agite tant, comme si c'était lui, en fait, qui avait volé l'orange...

Et voilà que le Président de la République, en réponse à une lettre que lui a envoyé l’ancien Premier ministre, dans laquelle ce dernier tente des explications assez nébuleuses (évoquant toutefois un possible conflit d’intérêt entre les prérogatives présidentielles et son recours à titre de partie civile dans cette affaire), Nicolas Sarkozy le renvoie abruptement "devant la justice" et ce aux yeux de la France entière lors du journal du soir de TF1.

Dans les circonstances, que peut faire Dominique de Villepin sinon nier à grands cris s’être abaissé à manigancer contre un rival de toujours, un "usurpateur d’héritage politique" mais à qui a néanmoins été fait quelques grâces par personne interposée (en 1997 notamment alors que Nicolas Sarkozy hérite du Secrétariat général du RPR sous Chirac, après plusieurs années de traversée du désert).

La présomption d'innocence étant encore frileusement appliquée dans l'Hexagone (dans les esprits du moins), contrairement en Amérique où elle est sacrée, je m'en voudrais de le condamner d'avance, toutefois, il faut certaines preuves, si ce ne sont des preuves certaines pour une mise en examen (Wikipédia : En France, la mise en examen est une compétence exclusive du juge d'instruction. Elle vise la personne contre laquelle il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission d'une infraction - article 80-1 du Code de procédure pénale[1] -. Si tel n'est pas le cas de la personne mise en examen, il peut être placé sous le statut de témoin assisté ou témoin).

Bon, de mis en examen, il est devenu témoin assisté (ce qu'il souhaitait). Mais lorsque l'on a des amis hauts placés et que l'on jouit soi-même d'une position enviable, n'est-il pas possible de faire pencher la balance (de la justice) en sa faveur? Je n'accuse pas, mais je suis réaliste.

Le silence des derniers cent jours de Dominique de Villepin, avant ses sorties médiatiques, avait été suffisamment éloquent. Sous le couvert du respect qu’il doit à la démocratie qui l’a évincé, il a dû lécher ses plaies jusqu’à l’os ne sachant trop comment retrouver sa stature d’icône patiemment édifiée, et dont la naissance et l’éducation n’ont fait qu’ajouter un vernis dont l’effritement ne nous étonne pas, et nous pourrions même aller jusqu'à dire "je le savais" si nous n’étions, nous aussi, bien élevés.

Que va finalement permettre de découvrir l’enquête sur l’affaire Clearstream outre les révélations du général Philippe Rondot et du « corbeau » Jean-Louis Gergorin, ex-responsable de l’EADS, qui indique aujourd’hui que c’est Dominique de Villepin lui-même qui lui a ordonné de transmettre les faux listings de comptes bancaires au juge d’instruction Renaud van Ruymbeke ? La "vraie" vérité, on l’espère et non pas seulement cet accommodement tronqué que l’on nous sert d’habitude.

Car cet excès de zèle de Dominique de Villepin démontre qu’il pourrait avoir plus « qu’arrondi les angles » en partie pour se protéger, en partie pour protéger Jacques Chirac, dans une tentative de redonner à cette persistante allégeance la faculté de retourner en arrière, au temps où c’était lui l’avenir de la France - l’énoncé de cette délicate opération n’étant, il va sans dire, qu’un poli euphémisme pour éviter de dire qu’il a probablement menti "par solidarité" et qu’il doit maintenant s’en mordre les doigts, mais ça, ce n'est que conjecture...

En effet, le général Rondot a affirmé que Dominique de Villepin lui avait demandé "sur instructions" de Jacques Chirac une enquête visant notamment Nicolas Sarkozy, une version vigoureusement contestée par le Premier ministre et le président de la République. Le président Jacques Chirac a pour sa part démenti "catégoriquement" il y a quelques semaines dans un communiqué "avoir demandé la moindre enquête visant des personnalités politiques" en liaison avec l’affaire Clearstream.

Selon M. de Villepin, dans cette affaire "une thèse s’est imposée à l’automne 2004, qui n’avait rien à voir avec le sujet qui était une affaire industrielle et internationale. Cette thèse s’est imposée au point d’imprimer l’instruction judiciaire" (Le Monde, 12 sept. 2007).

"Quand on sort des procès verbaux d’audition tronqués, quand on sort des pièces d’un dossier, des éléments de perquisition isolés de leur contexte on peut faire dire n’importe quoi", a-t-il estimé avant d’ajouter : "Tout cela est mis au service d’une accusation contre moi, je le dis c’est faux et c’est injuste. Il n’y a pas en justice une thèse qui préexiste à la vérité" (Le Monde, 12 sept. 2007).

Quoi qu’il en soit, nous ne sommes évidemment pas dupes de cette grande démonstration médiatique visant à défendre l’intégrité et l’engagement bafoués. La colère et la jalousie ruminées longuement sont mauvaises conseillères, et la noblesse, quelle qu’elle soit, n’a ni le privilège de la hauteur de sentiments, et n’est ni protection tous risques contre la bassesse et la dissimulation.

Lorsque des indices probants semblent s'accumuler contre soi et que celui pour qui l’on a tout risqué se prélasse sur la Côte d’azur ,savourant béatement les joies de son immunité, que reste-t-il à faire sinon se draper avec panache dans ce qui nous reste de dignité, la cigüe n’étant pas une option envisageable.

Dominique de Villepin vient, il y a quelques semaines, de publier un dernier Napoléon « Le Soleil noir de la puissance, 1796-1807 », dans lequel il décrit l’ascension vers le pouvoir de Bonaparte. Il apparaît clair que cet ouvrage ne vise aucunement Nicolas Sarkozy, comme certains le prétendaient, mais lui-même et ses prétentions déçues. Sachant comment l’empereur a fini, nous ne nous étonnerons ni du choix de ses inclinations ni de l’ironie de la chose.

Lorsque l’on prend le large et que l’esprit s’élève, tout étourdi par les brises et les embruns inaccessibles aux simples mortels, le danger est de perdre son cap et de se retrouver finalement dans une galère, à ramer indéfiniment....sans savoir pourquoi ni commet en sortir. Et c’est malheureusement ce qui arrive à Dominique de Villepin. On s’en remettra...